Une journée comme les autres à Shiripuno, ou presque…

Vendredi, hier donc, j’ai été embauchée pour faire la traduction pour un couple de retraités français qui venaient passer la journée à Shiripuno. Chaque fois que des touristes viennent passer une journée ici, ils choisissent dans une liste les activités qu’ils veulent faire. Ils peuvent aller visiter les plantations de la communauté, apprendre à reconnaître certaines plantes médicinales, apprendre à tisser des bijoux traditionnels, voir les femmes chercher de l’or au bord du rio Napo, préparer du chocolat, et évidemment le repas du midi à base de maito de poisson est compris dans le tarif.

Cette fois, c’était Jeannette la soeur de Teo, qui s’occupait de guider les touristes dans le village pour participer aux différentes activités. Elle nous a d’abord expliqué l’histoire de la pierre sacrée du village, comment elle a été trouvée et les croyances qui l’entourent. Quand on vit à Shiripuno, on ne peut pas ne pas croire aux histoires de ce genre. Le village entier, et surtout la pierre, est entouré d’un mystère presque palpable.

Pour preuve… Par deux fois j’ai eu l’occasion de croiser une créature étrange, au cours des premières semaines, une petite fille vêtue tout de blanc qui me regardait de loin, et quand j’essayais de mieux la distinguer entre les arbres, elle avait déjà disparu. The méga chocottes. Pendant deux ou trois semaines je n’ai rien dit à personne, puis je ne sais pas comment la conversation a démarré mais Natasha m’a dit qu’elle avait vu exactement la même chose… Direct, nous sommes allées voir Don Petronio, le Chaman, pour lui raconter ce qu’on avait vu. Et là, grande surprise: « oui, je sais qui c’est. C’est l’esprit de la gardienne de la pierre qui vient vérifier que les nouveaux arrivant ne sont pas un danger pour la communauté. C’est pour ça que beaucoup de volontaires la voient, mais que les habitants de Shiripuno ne l’ont jamais vue : elle est juste curieuse »… Oh. My. God. (étrangement depuis ce jour là, je ne suis pas très rassurée quand je vais aux toilettes pendant la nuit…)

Après l’explication de la pierre sacrée, nous sommes allées aux plantations pour cueillir de quoi manger le midi : des racines de yucca (manioc), des papayes, du palmito ou coeur de palmier, directement sorti du palmier (miam miam!), et trois sortes de cacao différentes : le cacao jaune et le cacao rouge sont tous les deux pour faire du chocolat, et le cacao blanc se cuisine comme les haricots en tant que légume pour accompagner l’éternel arroz con pollo (riz-poulet, le plat typiquement équatorien, au ptit dèj’, midi et dîner… un peu lassant au bout d’un moment!). Aux plantations nous avons retrouvé Maria, la abuela du village entier, maman de Teo, Jeannette, Nelson, Petronio et les 6 autres (oui je sais, ça fait 10, moi aussi j’ai été choquée^^). Jeannette nous avait fait des dessins sur les joues, et Maria a beaucoup ri en me voyant maquillée comme ça… En effet, je l’ai voulu, je l’ai eu: Jeannatte m’avait transformée en guerrière Quichua. Féroce!

De là, j’ai laissé mon groupe pour qu’ils aillent déguster leur super repas de stars, quand moi je n’avais droit qu’à un petit verre de Guayusa sucrée…

Après leur déjeuner, ils sont allés se reposer et j’ai pu aider les femmes à la vaisselle de l’école. Qu’est-ce qu’on a ri!! Des histoires de nanas à base de tampax et de mecs chelous, ça fait un bien fou de rire comme ça!! Elles m’ont aussi raconté leur propre expérience de la pierre sacrée, alors que celle ci était encore enterrée (ils l’ont découverte en 2005 seulement, avant c’était une colline).. A cette époque, personne ne voulait monter sur cette colline, parce qu’il se passait vraiment des choses étranges. D’après ce qu’on raconte, la terre bougeait sous les pieds et on pouvait entendre un sifflement strident monter de la colline. Strange. Les femmes d’ici ont toujours peur de la pierre, et s’énervent beaucoup quand leurs enfants l’escaladent. Ca ne se prend pas à la légère, les esprits…

Ensuite, pendant la préparation du chocolat, j’ai cru mourir. C’est de la torture de me faire faire ça quand je n’ai pas le droit de manger… Du coup, je me suis vengée sur la Guayusa et j’ai bu toute la casserole. Non mais oh.

Après ça, les touristes sont repartis et j’ai enfin pu aller me reposer et me préparer mentalement pour la soirée qui s’annonçait. En effet, ça fait plusieurs semaines que j’ai décidé que ce soir là, du 23 Novembre, c’était le bon soir pour boire l’Ayahuasca avec le Chaman. L’Ayahuasca, c’est le jus d’une liane avec lequel se prépare la boisson hallucinogène que le Chaman utilise pour avoir des visions du passé et du futur, pour savoir comment résoudre un problème ou soigner un malade. C’est une drogue « tolérée » par le gouvernement, qui ne pourrait de toute façon rien faire pour empêcher tous les chamans du pays d’en préparer. Depuis que je suis arrivée à Shiripuno, je me tatais de savoir si je le faisais ou pas, mais quand Natasha et moi lui avons a expliqué notre « étrange rencontre », Petronio a été catégorique : « maintenant vous devez boire l’ayahuasca, la Nature vous a appellées. Si vous ne le faites pas, vous allez tomber malades ». Okay. Bon, pas trop le choix, j’ai accepté, coincée entre l’excitation et la peur. Et le jour J, pour moi c’était hier. Natasha a décidé de le faire plus tard, comme il lui reste encore beaucoup de temps ici dans la communauté. J’ai donc pris l’Ayahuasca avec un couple d’Argentins très sympathiques, et obviously Don Petronio.

La cérémonie de l’Ayahuasca se divise en plusieurs phases. Au début, Petronio nous a exposé quelques règles de sécurité. Par exemple il ne faut surtout pas essayer de se lever pour fuir les visions qui arrivent, il suffit juste d’ouvrir les yeux quelques secondes pour les faire disparaitre et qu’une autre vienne. De la même manière, lui demander de l’aide à lui avant de se lever pour aller vomir (on est presque obligé de vomir pendant une séance, pour évacuer les mauvaises énergies, d’où l’interdiction de manger de toute la journée, histoire de ne pas s’étouffer). En résumé, ne pas se lever, et toujours faire ce que dit le Chaman. Il nous a ensuite exposé les 4 phases des visions de l’Ayahuasca, s’étalant sur deux bonnes heures: pendant la première phase, nous allions pouvoir observer des étoiles. Pendant la deuxième, des nuages et des éclairs. Pendant la troisième, des insectes et des animaux sacrés comme l’anaconda, le singe ou le puma. Selon lui, la 3e phase est la plus dure pour rester concentré, parce que l’instinct de survie nous pousse à vouloir fuir. L’important, c’est de rester assis, les yeux fermés, et de se souvenir que ce sont des visions. Pendant cette phase là, si on dépasse la peur des animaux, on peut discuter avec les membres de sa famille et ses amis, même s’ils sont de l’autre côté de l’océan. La voix qui répondra aux questions sera, à ce moment là, celle de la gardienne de la pierre. La quatrième et dernière phase est celle des morts. Durant cette phase, on peut rencontrer ses ancêtres et les morts de sa famille, sous forme de squelettes. Ok allons-y!

Il nous a donc fait boire un verre entier d’une boisson infâme, suivie d’une rondelle de citron histoire de faire passer le goût. Il manquait seulement le sel et on était bons pour un Ayahuasca-paf^^ Ensuite, pour laisser agir la boisson et aussi pour dégourdir les jambes avant de s’asseoir pour plusieurs heures, nous avons marché pendant 10 minutes autour de la pierre et dans le village. Et après les dix minutes, la cérémonie a pu commencer. Petronio nous a fait à chacun une limpieza avec des feuilles produisant un bruit particulier, tout en marmonnant une incantation en quichua. Et juste à ce moment là, j’ai commencé à ressentir les effets.

Ca commence dans les oreilles, comme si un frelon énorme s’approchait tout doucement de chaque côté, enfermant le cerveau dans un bourdonnement continu. Les yeux fermés, j’ai pu commencer à voir des traits de lumière partir vers les côtés, comme si je traversais à toute vitesse un tunnel dans les étoiles. Je suis incapable de savoir combien de temps je suis restée comme ça. Entrecoupés de flashs, d’images, de sons impossibles à identifier, les rayons de lumières ont commencé à aller de plus en plus vite, et au milieu du tunnel j’ai pu voir marcher vers moi une dizaines de silhouettes lumineuses. S’approchant un peu vite à mon goût, elles se sont progressivement transformées en visages, tous souriants ou presque, mais tous inconnus. Ils sont passées à côté de moi sans rien dire, et là je jurerai d’avoir revu la petite fille, mais elle a disparu trop vite pour en être sûre.

C’était assez difficile, je ne pouvais pas m’empêcher d’écouter les incantations de Petronio. Mais il me fallait rester concentrée, la deuxième phase allait commencer. Là, les traits de lumière ont disparu et à la place j’ai pu observer une sorte de clairière de forêt avec autant de détails que si j’avais eu les yeux ouverts. C’était vraiment fou, et j’ai du résister à l’envie d’ouvrir les yeux pour vérifier, mais j’avais la sensation d’être réellement dans cette clairière, sans doute à des centaines de kilomètres de l’endroit où j’étais assise. Les sceptiques pourront dire ce qu’ils veulent, moi j’ai eu l’impression d’être partie en voyage sans mon corps.

A ce moment là, des éclairs roses et verts ont commencé à déchirer le ciel au dessus de la clairière. Et le bruit du tonnerre, même si je savais qu’il était dans ma tête, m’a fait sursauter. Mauvaise idée. Le sursaut s’est transformé en haut-le-coeur et d’un seul coup j’ai rendu à la terre toute la guayusa bue dans la journée. Heureusement que ça n’était que du liquide… Petronio nous avait dit que le plus tôt on vomissait, le mieux c’était, parce que ça voulait dire qu’on allait pouvoir profiter pleinement des visions de la suite. Check. Pendant que « j’évacuais mes mauvaises énergies », je crois que Petronio m’a fait me lever pour m’asseoir un peu plus loin, sur le sol, et son épouse m’a tendu un verre d’eau.

A partir de là, j’ai eu l’impression d’être sortie du shéma des 4 phases et de partir un peu trop loin. Un homme est venu me chercher, assis dans une caisse en bois à roulettes, m’a fait monter dedans et m’a conduite à toute vitesse vers le centre de la Terre, me semble-t-il, en tout cas au travers de tunnels rougeoyants avec des trouées de lave en fusion. Il avait un rire bizarre, et des oreilles pointues. Puis tout a disparu, j’étais de nouveau dans la clairière. Une guatusa est passée à côté de moi à toute vitesse (comme le lapin d’Alice au Pays des Merveilles, mais sans la montre). Puis, devant moi sont apparus, flottant dans les airs, un million de paires d’yeux humains. Tous me regardaient, d’abord avec la curiosité des yeux de bébés, mais ensuite ils sont devenus rouge sang et se transformèrent petit à petit en yeux de singes, qui commencèrent à me hurler dessus et à montrer leurs crocs. Méga angoissant, je crois que j’ai ouvert les yeux à ce moment là.

Ensuite, mes visions se sont plus orientées vers des personnes connues, j’ai vu beaucoup de choses à propos de Natasha, sans savoir dire si c’était son passé ou son avenir. J’ai vu mes parents, mes grands parents, et une femme inconnue qui pourrait très bien être moi dans quelques années. Je crois que c’est tout ce dont je me souviens, ensuite Petronio est venu m’aider à aller me coucher. Comme Natasha est partie pour le weekend, j’avais prévu de dormir chez Amélie, histoire qu’on me surveille un peu le temps que je m’endorme. Résultat je me suis réveillée ce matin sans trop savoir où j’étais, et les yeux tout flous! Impossible de fixer mon regard sur quoique ce soit. En effet, au début de la séance je pouvais sentir mes yeux trembler de haut en bas sous mes paupières, et je suppose que ça a duré pendant les 2h non-stop. D’où les yeux fatigués aujourd’hui… Pour terminer le rituel de l’Ayahuasca il faut prendre une douche bien froide le lendemain matin, afin d’évacuer tout l’excedent d’énergie accumulé pendant la nuit. De tout façon, la douche chaude on connait pas ici.

Je suis donc sûre d’être passée par les 2 premières phases, des étoiles et des éclairs. Amélie m’a raconté ce matin qu’elle est venue me voir pendant la séance et que je répétais sans cesse: « il y a beaucoup de bestioles… », du coup je suppose que ça, plus la guatusa et les singes, correspondrait au début de la phase 3, et que de voir amis et familles correspond à la fin de la phase 3. J’ai donc des souvenirs de 3 phases sur les 4, pour une première fois c’est très bien. Don Petronio m’a dit que si j’ai réagi aussi bien à l’Ayahuasca ça veut dire que je suis en très bonne santé, autant mentale que physique. Bon à savoir! En tout cas, d’après Carla (l’argentine qui a pris l’ayahuasca en même temps que moi), j’ai parlé tout le long de la séance, ce dont je ne me souviens absolument pas. Comme elle ne parle pas un mot de français, elle n’a pas pu me répéter ce que je disais. J’aurais bien aimé qu’elle m’enregistre… Amélie est également venue me voir quand je dormais, et apparemment j’étais écroulée de rire! Peut-être avais-je rencontré des squelettes super blagueurs, au final.

Une expérience spéciale donc, vraiment intense. A refaire, je ne sais pas, c’était excellent mais j’ai eu quand même un peu peur. Mon seul regret c’est de ne pas avoir eu un papier et un crayon sous la main. Sans doute que les mots qui seraient sortis à ce moment là auraient eu une portée bien particulière. La prochaine fois!